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Résumé :
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Pourquoi, dans ce projet de dossier, avoir associé jouissance et sociabilité ? Il faut considérer que dans une société qualifiée d’« hypermoderne », marquée essentiellement par l’individualisme, l’hypernarcissisme, l’hédonisme, le consumérisme…, mais aussi par des tendances au sacrifice du bien-être pour l’atteinte de performances socialement reconnues…, la quête de jouissance apparaît comme un besoin, une aspiration inextinguible. La psychanalyse en a fait une hypothèse majeure, considérant le plaisir et plus encore la jouissance comme les sources principales de la vie psychique et relationnelle. Le sentiment général soutenu par les médias en décrète l’universalité et en fait un droit pour tous les citoyens. Dans le registre des sciences humaines et sociales, on peut difficilement séparer la jouissance (de quelque nature qu’elle soit), inhérente au processus de développement du sujet, de toutes les autres formes de sociabilité, c’est-à-dire des multiples façons possibles d’entretenir des liens avec les autres. C’est pourquoi cette notion fait partie de la configuration des concepts désignant des états de forte proximité affective ou émotionnelle, certains décrits comme proches de l’extase. Divers travaux menés auprès d’adolescents montrent que la jouissance qui ne va pas sans dimensions transgressives participe de la découverte de l’altérité. D’autres recherches dans le registre clinique révèlent qu’à l’âge adulte et même au-delà, la privation de jouissance accélère le vieillissement et le délabrement psychologique, alors que sa stimulation soutient les mécanismes de résilience. Notons encore que la quête de jouissance, dont nous venons de souligner l’intensité à notre époque, ne saurait être séparée de facteurs sociaux ou idéologiques comme le réveil du militantisme féministe préconisant « la jouissance sans entrave » ou encore la promotion sur les réseaux sociaux d’une prostitution soft. Il me paraît opportun de souligner qu’on aurait peut-être tort de privilégier, dans l’approche du contenu de cette notion, la référence à la sexualité ou à l’érotisme ou encore aux formes les plus agressives (sadisme ou masochisme), voire morbides, de la jouissance, intégrant des inclinations à la domination, à l’exploitation, à l’imposition de souffrances… À l’opposé, nous devons à Marcel Proust de belles pages sur la jouissance associée au bonheur et à l’extase dans « la mémoire retrouvée » des plus belles heures de l’enfance : « […] élucider le secret de cette extase, c’est accéder à la vraie vie », écrit-il. La littérature de Sade à Bataille prolongée par le roman, surtout féminin, a promu l’imaginaire attaché à la jouissance au rang d’antidote à la solitude et à l’ennui. [Présentation de l'éditeur]
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